Notre invitée, ancienne conseillère nationale (1999-2007), nous fait le plaisir de nous présenter deux textes ayant fait l’objet de chroniques dans Le Courrier, l’un n’ayant pas été lu en entier.
Le premier est intitulé “Les bonnes affaires de la guerre” (voir en annexe); on en reproduit ici quelques extraits.
“L’invasion de l’Ukraine a provoqué la stupeur, mais s’il y a une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est l’instrumentalisation de cette guerre par les bellicistes et les marchands de canons pour relancer leurs affaires. (…) On a rappelé récemment les vingt ans du « rapport Bergier », ce monumental travail de mémoire sur l’attitude de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. (…) Les affaires économiques et commerciales allaient si loin que la Commission Bergier a pu écrire qu’il s’agissait en quelque sorte d’un « corporatisme organique entre le gouvernement et l’économie ». Quant à notre neutralité, son rapport est encore plus sévère : « La Confédération utilisa l’alibi de la neutralité avec un légalisme dépourvu de sensibilité pour éviter un engagement humanitaire plus marqué ». (…) [L] a neutralité n’est « qu’un moyen au service d’une cause. » Dans le texte actuel, elle n’apparaît ni à l’article 2 consacré aux buts de l’Etat et pas davantage à l’article 54 sur les affaires étrangères. Elle ne constitue donc pas un principe fondamental, ni un dogme. Juste un outil « au service d’une cause », à savoir les buts assignés à l’Etat selon le texte constitutionnel : « la liberté, les droits du peuple, l’indépendance et la sécurité du pays ». Dans les débats actuels sur l’orientation de notre politique étrangère, il est souvent question de « nos valeurs ». Certains les situent dans le giron de l’OTAN, dont ils souhaitent se rapprocher. Pour ma part, ce n’est certainement pas sur cette organisation – bras avancé des faucons du Pentagone et des marchands de canons américains – que je compte pour voir fleurir les miennes. Je place au contraire mes espoirs sur une compréhension apaisée de la neutralité : alors que certains lui assignent une mission militaire, il faudrait plutôt voir en elle la base d’un engagement pacifiste, coopératif et solidaire envers les autres nations.”
Du second texte, “Oser se dire pacifiste ?”, on tire ce qui suit.
“Dans le brouhaha assourdissant autour de notre soutien à l’Ukraine, la paix est un concept inaudible et le pacifisme une indécence. Dans la population et les institutions, les échanges d’opinions sont moins l’expression des émotions que suscitent les images insoutenables de la boucherie de Bakhmout que celle des contingences politiques : faut-il oui ou non autoriser l’Allemagne ou le Portugal à réexporter des munitions de fabrication suisse ? En cause, la neutralité, évoquée avec dévotion par certains, jugée obsolète par d’autres. (…) Neutralité, industrie d’armement et exportation d’armes : cette équation hasardeuse nous a déjà valu de nombreux scandales. (…) Tous les jours, les médias rapportent les commentaires désobligeants que l’Europe et les Etats-Unis ne cessent de répandre sur notre lâcheté, reproches que les va-t-en guerre s’empressent de répercuter, à l’appui de leur engagement militariste. Leurs oreilles semblent moins sensibles aux critiques sur notre hypocrisie et notre ladrerie suscitées par le peu d’empressement que nous mettons à bloquer les fonds des milliardaires alliés du régime de Poutine. « Il y a quelque chose de pourri en Suisse », écrit Le Monde (28.02.23) : « Les Suisses aiment bien qu’on les considère comme « neutres », pour pouvoir continuer à gérer l’argent des dictateurs ».
Opter pour les armes civiles serait peut-être une manière de réconcilier pacifisme et neutralité, dans une éthique de transparence et de cohérence, sans contorsions opportunistes. Regarder vers l’Ukraine plutôt que vers l’OTAN pourrait aussi nous faire sortir de ce double jeu qui discrédite notre politique étrangère.”
Ces propos nous ont paru inspirants, propices à notre réflexion.
Luc Recordon