Ce statut, je l’entends tous les jours. Il introduit un dialogue, le ponctue ou le termine ; et pour moi, c’est un enfer. Il me ramène au sexe assigné à la naissance, à mon genre et à mon expression de genre. Il me fait me déconnecter un instant du monde, et tourbillonne dans mon esprit en me rappelant que tous mes efforts pour paraître « moi » en société est réduit à néant. Le statut lancé sûrement sans mauvaise intention me plonge dans un flot de pensées négatives pour la journée, et je n’ose rien dire. Peut-être que dans quelques jours, mois, années, je pourrai. Peut-être que l’impact m’affectera moins et me permettra de défendre mon identité, mais aujourd’hui, cela m’est impossible et je subis le coup en serrant les dents. C’est un bleu invisible qui partira dans quelques jours.
Les combats internes comme celui-ci sont constants pour certain.e.s, indolores pour d’autres, mais surtout invisibles et inconnus pour celleux qui les déclenchent. Je ne peux pas toujours leur en vouloir ; si l’on me demande mes papiers, il y sera inscrit un sexe qui devrait en théorie correspondre à mon genre. On le lira et on ne se posera pas de question. Dans mon idéal, il n’y aurait même pas de questions à se poser, mais seulement une suppression de statut à faire. La suppression d’un mot pour la suppression d’un coup.
On ne s’habitue jamais à ces remarques genrées qui nous emprisonnent. On a beau connaître le parcours, s’y préparer, se répéter inlassablement la phrase que l’on pourra répondre, elle ne sort pas toujours. Parce qu’on se fige, parce qu’on a peur, parce que le temps de réfléchir, le moment est passé et on doit reprendre le cours des choses. La violence est interne, externe, visible et invisible. Elle s’immisce dans les mots, dans les regards, dans les demandes administratives, dans les injonctions ; en somme, partout. Mon parcours suit des demandes et des contraintes. Je dois me justifier, attendre que des professionnels m’évaluent, qu’ils acceptent ce que je ressens, qu’ils le notent, le signent et me le fassent payer. De manière figurée et littérale.
Aujourd’hui, je paie le prix de ma transidentité. Je paie mes rendez-vous psy s’ils ne sont pas remboursés. Je paie la gêne de devoir raconter son parcours au moins deux fois pour deux documents différents. Je paie ma testostérone en gel non remboursé, parce que j’ai fait le choix de ne pas me l’injecter. Je paie mon opération de réaffirmation de genre. Je paie le mégenrage. Je paie le prix de mes nouveaux papiers. Je paie tout jusqu’à ce que l’on me laisse enfin tranquille. Je paie ma liberté et mon bien-être.
Noah Janot