Si un ouvrage sur Ivan Illich (1926-2002) paraît aujourd’hui dans une collection consacrée aux « précurseurs de la décroissance », c’est qu’Illich touche une nouvelle génération de lecteurs par sa critique radicale du productivisme. Il « oppose à la croissance l’univers du vernaculaire » (autosuffisant, fait par soi-même).
La première moitié du livre présente Illich, sa vie et son œuvre. Une quarantaine de pages très utiles pour s’introduire aux concepts et au vocabulaire parfois intrigants du philosophe : « système », « vernaculaire », « convivialité », « communs ». Ses livres majeurs sont brièvement présentés ainsi que leur réception. Illich a en particulier étudié la rupture des années 60s et 70s, l’entrée dans un âge des systèmes, où l’on découvre « une actualité qui n’a pas d’histoire, ce qui se révèle terriblement angoissant ». Cette première partie est complétée par une bibliographie commentée.
Cinq textes choisis forment la deuxième moitié de l’ouvrage. Le premier est un entretien accordé à La Gueule ouverte en 1973, qui se termine par ces mots : « À chacun de découvrir la puissance du renoncement, la force de l’impuissance, le véritable sens de la non-violence ». Le second s’intitule L’énergie, un objet social (1983) où Illich affirme que l’image de l’être humain dépend désormais des concepts d’énergie et de travail, et que cet idéal humain est « sexiste ». Le troisième document est un texte collectif rédigé en 1990 : Déclaration sur le sol (première traduction française). « Notre génération a perdu son ancrage tant dans le sol que dans la vertu » ; suit une définition du sens donné à ce dernier mot (les bonnes pratiques enrichissent « la mémoire d’un lieu »). Le quatrième s’intitule « Le renoncement à la santé », une mise au point sur son livre de 1975 lors d’une conférence en 1990 : « J’invite chacun à détourner son regard, ses pensées, de la quête de la santé et à cultiver l’art de vivre. Ainsi que, tout aussi importants aujourd’hui, l’art de souffrir et l’art de mourir ». Le dernier extrait vient en réaction au rapport Brundtland de 1987, Illich y critique le « développement » et ses présupposés.
Illich est parfois difficile à lire, souvent difficile à comprendre. C’est qu’il sort de nos cadres de pensées. Les citations proposées ci-dessus, pour être bien comprises, nécessitent de lire les textes entiers, voir plusieurs livres d’Ivan Illich, voir de se plonger dans la littérature qui continue à vivre autour de son œuvre (il existe en Romandie un Cercle des lecteurs d’Ivan Illich). Et de rester dans l’interrogation.
Michel Mégard, 27 mars 2019
Référence complète :
Thierry Paquot, “Ivan Illich” : pour une ascèse volontaire et conviviale, Le passager clandestin, coll. Les précurseurs de la décroissance, 2019, 110 p. ISBN : 978-2-36935-218-1
Interview de Thierry Paquot (Libération du 28 février 2019)