La France n’a pas donné ces dernières années l’occasion de se réjouir d’avancées libérales, au point que l’historien Pascal Ory de ce pays la tient à cet égard, aux antipodes de la Suisse, pour la démocratie d’Europe occidentale “la plus autoritaire”. On peut discuter de l’élogieux certificat décerné à l’Helvétie par cette comparaison, mais il est vrai que la manière dont ont été réprimées de nombreuses manifestations politiques chez nos voisins a laissé plus que songeur; c’est donc avec ravissement que l’on prit connaissance de l’arrêt du Conseil d’État français (homologue du Tribunal fédéral suisse en matière de droit administratif) statuant sur la dissolution, sous l’égide du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, de l’association nommée Les Soulèvements de la Terre, qui est issue d’anciens membres de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et s’est opposée aux «méga-bassines» de Sainte-Soline.
L’arrêt du Conseil d’État annule la décision de dissolution et offre une jurisprudence salutaire en faveur de la liberté d’expression. Les juges, dans leur passage clé, retiennent qu'”aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée aux Soulèvements de la Terre. Le relais, avec une certaine complaisance, d’images d’affrontements de manifestants avec les forces de l’ordre, notamment contre la construction de retenues d’eau à Sainte-Soline, ne constitue pas une revendication, une valorisation ou une justification de tels agissements.”
Ils ajoutent : “les Soulèvements de la Terre se sont bien livrés à des provocations à des agissements violents à l’encontre des biens, qui entrent dans le champ du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Cependant, il estime que la dissolution des Soulèvements de la Terre ne constituait pas une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public au vu des effets réels qu’ont pu avoir leurs provocations à la violence contre des biens, à la date à laquelle a été pris le décret attaqué.”
Un double critère ressort de ce raisonnement : l’absence de violence contre les personnes et de provocation à une telle violence est la première condition (sans doute nécessaire) à une certaine tolérance; la dissolution de l’Association est une sanction disproportionnée pour certaines atteintes aux seuls biens.
En cette époque marquée par un regain du recours à la désobéissance civile, ces assertions mesurées d’outre Jura pourrait utilement avoir de l’écho dans nos contrées, quitte à prendre alors le contrepied de Pascal Ory…
Luc Recordon
Crédit photo (Droits réservés)