Nous sommes confronté-e-s ces dernières années à nombre de situations atteignant parfois le paroxysme de l’horreur.
Après l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, celle de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, du Hamas contre Israël et la riposte violente sur Gaza, nous devons craindre que la Chine ne s’en prenne à Taïwan. Et que dire des massacres en Birmanie, au Soudan, en Éthiopie, en Somalie, en RDC, au Nigéria, au Burkina Faso, au Mali; la liste est interminable et insoutenable. Prendre position, c’est d’abord dire, dire encore et redire NON À LA GUERRE et soutenir celles et ceux qui s’y opposent de toutes leurs forces, notamment par l’objection de conscience; le CENAC l’a fait en février dernier et réitéré le 6 décembre.
Mais on observe que cela ne suffit pas et des disputes surgissent lorsque l’on se lève contre tel acte précis, que l’on soutient telles victimes particulières ou que l’on se livre à une analyse des causes d’un événement. Souvent alors émerge le soupçon d’oublier tel autre cas ou de vouloir indirectement minimiser telles responsabilités. Or, la dénonciation de chaque horreur, l’explication historique – toujours délicate – et la lutte contre les réactions inadmissibles, tout cela est nécessaire. Comment faire pour que cela ne forme pas un magma incompréhensible et ne provoque pas un maelström de propos et d’actes haineux ? Suggérons une démarche tendant à limiter le risque d’ajouter – ne serait-ce qu’avec la meilleure volonté du monde – la violence à la violence.
L’abomination des actes de guerre
C’est le premier pas : affirmer sans barguigner le rejet de tout acte barbare, condamné pour lui-même et demander à ce sujet la justice, tout en sachant les limites de la justice humaine, surtout internationale. Pour ne citer que des moments qui nous ont horrifiés récemment : Boutcha, la sauvage agression de kibboutzim proches de Gaza, le bombardement de populations civiles et d’hôpitaux à Gaza. Il n’y a pas de compensation des fautes. Ni de justification aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité. Chacun d’eux doit être dénoncé sans concession ni limitation. Lorsqu’il s’agit d’un acte individuel, il est encore possible de trouver des circonstances atténuantes, pas pour un acte collectif préparé. Qu’on se place du point de vue juridique ou éthique. C’est un devoir d’humanité; ne pas l’accomplir serait lâche.
L’analyse des causes
Après cette phase primordiale, il est néanmoins indispensable de surmonter notre émotion afin de tenter de comprendre le processus qui a conduit à l’abomination. Le but n’est là ni de s’offrir un plaisir intellectuel ni de relativiser la condamnation. L’explication sert à discerner les erreurs commises pour essayer de ne pas les répéter. Quand on constate ainsi que la politique européenne – et plus encore états-unienne – à l’égard de la Russie d’après 1989, a favorisé le réveil du nationalisme russe et ultérieurement le malheur ukrainien, quand on ajoute que l’histoire ukrainienne comporte des pages sombres de fascisme (la Shoah par balles entre 1941 et 1943, l’organisation de Stepan Bandera, jamais condamnée), on ne disculpe pas d’un iota les personnes ayant commis les atrocités contemporaines. Il en va de même quand on met en cause l’ignoble politique de colonisation israélienne en Cisjordanie, en tant que l’une des circonstances de l’exaspération palestinienne : cela n’ôte pas une once de responsabilité à qui a égorgé des enfants le 7 octobre 2023. Mais cela doit faire réfléchir à l’une des choses qui doivent cesser si l’on entend interrompre, enfin, l’escalade de la violence.
Les effets référés dans nos contrées
La façon dont nous prenons position sur les événements monstrueux qu’égrène l’actualité jour après jour peut contribuer, si nous n’y prenons garde, à alimenter la rancœur, voire la haine, même avec les meilleures intentions. C’est fort délicat, parce que toute dénonciation et tout geste de solidarité concernant une partie à tel conflit a une grande probabilité d’être considéré par l’autre comme un acte unilatéral dirigé contre elle. Pourtant ce sont des nécessités : dénoncer la russophobie en Pologne, dans les États baltes, ailleurs en Europe, l’ukrainophobie en Hongrie, montant en Pologne aussi, le méli-mélo d’islamophobie et d’antisémitisme en France, l’antisémitisme en Suisse (où peut-être – et ce serait heureux – que l’islamophobie est moindre pour l’instant), voilà qui constitue un impératif catégorique. Sinon, là encore, ce serait lâche et en outre contribuerait à laisser s’installer un climat délétère dans nos sociétés.
On ne le dira jamais assez : tous ces actes de violence, au loin ou chez nous, doivent être condamnés, toutes les victimes méritent notre solidarité. Toutes et tous, un.e à un.e, ou – si on y arrive – toutes et tous ensemble.
Luc Recordon