Le procès des policiers qui étaient intervenus à, Lausanne contre Mike Ben Peter, ressortissant du Nigéria mort à l’issue de son arrestation musclée, si ce n’est à cause d’elle, a suscité une grande émotion parmi les personnes qui soutenaient la famille du défunt et les milieux antiracistes comme parmi les défenseur-seuses inconditionnel-les de la police. Sans vouloir se substituer à la justice, d’autant moins que l’affaire sera portée en appel ou même au-delà, force est de constater que cela a durci les fronts et généré un potentiel de violence, manifesté par des dérapages nuisibles. C’est ainsi qu’un policier non directement impliqué dans le procès a, dans le cadre d’un groupe WhatsApp, approuvé d’un pouce levé un graffiti ironique sur le décès de Mike Ben Peter; il a été sanctionné par sa hiérarchie. À l’inverse, une députée au Grand conseil vaudois – qui avait fait partie en 2021 des zadistes non-violent-e-s évacué-e-s de force de la colline du Mormont – a publié en mars 2023 sur Instagram, puis retiré, une pancarte portant l’abréviation ACAB pour “All cops are bastards” (signifiant “Tous les flics sont des bâtards”); après examen juridique, elle n’a pas été sanctionnée.
En France, une énième interpellation ayant abouti à la mort par balles du suspect a été à l’origine de violences majeures qui ont secoué tout le pays au printemps 2023. Par ailleurs, là encore les fronts se sont durcis et même figés, puisque le Ministre de l’Intérieur a contesté la mise en détention d’un policier fortement soupçonné de brutalités illégales. Ces événements étaient concomitants avec l’expulsion violente des manifestant-e-s qui avaient commencé à installer une ZAD à Sainte-Soline contre des “mégabassines” (retenues d’eau artificielles destinées à assurer l’irrigation, mais problématiques pour les nappes phréatiques).
Quelques imitateurs des émeutes françaises, apparemment opportunistes et sans visée politique, ont saccagé un soir de printemps une partie du quartier lausannois festif du Flon, sans déclencher de mouvement ultérieur.
L’ensemble des faits qu’on vient de rappeler sont des actes de violence que l’on ne peut admettre, quel que soit le sort judiciaire qui s’est ensuivi ou s’ensuivra. La multiplication des tensions croissantes qui les provoquent ou qui en résultent, dont la chronologie semble correspondre à la période de la pandémie de covid-19 et surtout à la sortie de cette crise, doit nous inquiéter.
Certes, les polices vaudoises, notamment la cantonale et la lausannnoise, sont dans l’ensemble caractérisées par une culture beaucoup moins violente que leurs homologues françaises – et c’est peu dire. Le dialogue instauré en automne 2017 par le CENAC avec la Police cantonale vaudoise lors des États généraux de la non-violence l’illustre, les mesures civilisantes prises depuis plusieurs années par le commandant de la Police municipale lausannnoise aussi; même à l’occasion de la ZAD du Mormont, un dialogue a pu être restauré et c’est davantage la sévérité de la justice que l’action de la police qui a pu poser problème. En France aussi d’ailleurs, les tribunaux pénaux se montrent expéditifs et rudes.
Sous nos cieux, plus que chez nos voisin-e-s d’outre-Jura, l’espoir existe malgré des échecs douloureux que la culture non-violente puisse progresser dans les rapports de la police avec celles et ceux qu’elle interpelle. Par exemple la proposition d’un conseiller communal lausannois de renoncer au plaquage ventral (pratique mise en cause lors du décès de Mike Ben Peter), mais aussi le dialogue constant que le CENAC cherche à entretenir avec les mouvements de désobéissance civile ou la relance de notre projet de politiques cantonales de la non-violence (et de la bienveillance administrative).
Ici se conjoignent les deux piliers de notre travail: d’une part, répandre – par les les formations et par l’information – les méthodes de résolution non-violente des conflits, de l’autre analyser puis expliquer le sens et le fonctionnment de la désobéissance civile.
Luc Recordon