Multinationales responsables: comment régler les différends?
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Multinationales responsables: comment régler les différends?

Sur l’initiative “multinationales responsables” (IMR), un regard lucide est porté par Ellen Hertz et Yvan Schulz dans leur ouvrage Entreprises et droits humains. La bonne volonté ne suffit pas, édité dans une collection au nom parlant: Penser la Suisse. Distanciée et étayée, l’analyse montre autant une réelle utilité des pratiques autonomes de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises que leur nette insuffisance dans la réalité.

Mon expérience d’administrateur de sociétés, dans les secteurs touristique, immobilier et bancaire, me conduit à la même conclusion. D’une part, la pression économique est bien souvent trop forte pour autoriser ce que l’éthique amènerait à choisir; d’autre part, les agents économiques les plus respectueux, notamment des droits humains et de l’environnement, sont pénalisés face aux quelques entreprises voyous avec qui ils sont en concurrence. Les tentatives de dirigeants, par exemple de Nestlé, de se justifier dans les médias ont quelque chose de pathétique: ils ne sont sûrement pas dépourvus de sens moral, mais pour combien compte-t-il dans la pesée à effectuer face aux intérêts financiers à court terme? Seule la crainte des dégâts de réputation présente là une certaine efficacité. Plus navrantes encore sont les déclarations la main sur le cœur d’un ministre du Burkina Faso: quelle en est la crédibilité vu que lui est ses collègues appartiennent au cercle des personnes susceptibles de tirer un profit des pratiques critiquées?

Donc, la mise en place de la protection judiciaire que propose l’IMR mérite d’être appuyée; elle est mesurée: elle n’instaure pas une responsabilité “objective” (celle qui est engagée même si on n’a pas commis de faute), mais permet au contraire aux multinationales mises en cause de s’innocenter en prouvant qu’elles ont pris les précautions nécessaires; une de nos rares PME ayant eu une activité à l’étranger, Veillon SA, a démontré il y a des décennies qu’on pouvait se montrer rigoureux avec soi-même et avec ses fournisseurs sans en souffrir, mais trop de tristes exemples montrent que cette voie est beaucoup trop peu suivie. De plus, le tribunal saisi en vertu de l’IMR le serait en Suisse, un pays offrant de sérieuses garanties de procès équitable, suivant des règles dont l’entreprise est familière; sa compétence ne serait du reste pas exclusive de celles des tribunaux des pays ou se produisent les dommages, mais complémentaire.

Une fois l’initiative acceptée, il y aura encore un pas supplémentaire à accomplir: proposer aux parties un système de résolution non-violente de leurs différends, entre autres par la médiation. Mais jamais une médiation sérieuse n’aura lieu si, dans l’hypothèse où elle n’aboutit pas, la justice ne peut être ensuite saisie. Inversement, en cas de refus de l’IMR, le dispositif légal serait si faible, limité à des exhortations et à une autosurveillance, qu’il est illusoire d’espérer l’acceptation d’une médiation ni d’autres améliorations concrètes en matière de droits humains et d’environnement.

Luc Recordon, Jouxtens-Mézery, avocat, membre du comité du Centre pour l’action action non-violente (CENAC)

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